[92] Jean Sarkozy hériterait de 50 ans de coups tordus à La Défense

Publié le par Association Grand Paris

PRESSE I RUE89.COM I 09/10/09 I Par David Servenay

Nommé à la tête de l'Epad à 23 ans, Jean Sarkozy prendrait la tête des réseaux gaullistes qui règnent sur les Hauts-de-Seine.

« Jean Sarkozy, futur patron de La Défense » : en lisant le titre du Point, franchement, j'ai d'abord cru à une blague. Le nouveau conseiller général des Hauts-de-Seine deviendrait le boss de la plus formidable pompe à finances inventée en 1958 dans le département le plus riche de France… A 23 ans, Jean Sarkozy serait donc l'héritier des réseaux gaullistes longtemps pilotés par Charles Pasqua, puis Nicolas Sarkozy. Petit retour historique.

Nettoyer les écuries d'Augias

Patrick Devedjian n'y est pas allé de main-morte en prenant la présidence du Conseil général du « 9-2 » :

« Je suis amené à nettoyer les écuries d'Augias. »

Référence directe aux petits et grands arrangements immobiliers de l'Etablissement public d'aménagement de La Défense (Epad), structure publique chargée depuis 1958 d'exploiter le quartier d'affaires. Son premier vice-président, le maire SFIO de Puteaux, Georges Dardel, avait le jugement plus tranchant :

« Ce régime, parmi ceux de la société capitaliste, est un des plus corrompus. »

En 1973, évincé de sa mairie par la girouette Charles Ceccaldi-Raynaud, passé de la SFIO au RPF, il décrit par le menu les magouilles immobilières de l'Epad. Le récit est dans un livre publié à compte d'auteur, « Quelle justice ? Puteaux = Chicago ».

Dès les années 70, la corruption gangrène les affaires

A cette époque, Georges Dardel préside la commission des marchés publics de l'Epad. Son constat sur les procédures d'attribution est sévère :

« Tout était préparé à l'avance par des fonctionnaires, sur appel d'offres restreint. Jamais je n'ai ouvert une enveloppe d'adjudication. Tout était préparé, pour d'énormes sommes, dans le secret douillet des bureaux administratifs. Un jour, j'eus l'occasion de protester véhémentement. Il y avait trois marchés à adjuger, représentant une coquette addition de millions… Il y avait dans chacun des trois appels, trois concurrents. Les trois mêmes ! Et chacun était adjudicataire d'un lot ! »

En clair, des appels d'offre truqués, pratique que l'on retrouvera dans les années 80.

Dans les Hauts-de-Seine, les élus ont un immense pouvoir : celui des droits à construire. Autrement dit, le nombre de mètres carrés autorisés par rapport à la surface du terrain acquis par les promoteurs. Le coefficient d'occupation des sols (COS) y fait l'objet d'un marchandage permanent. Georges Dardel poursuit :

« Je sais bien qu'il y a, pour le pouvoir, d'autres moyens de se “faire de l'argent et qu'il ne s'en prive pas. Exemple : le droit de construire un mètre carré de bureaux valait, à La Défense, au maximum 140 000 AF [anciens Francs] ; la construction de ce mètre carré vaut à peu près autant, et il est vendu entre 500 000 et 600 000 AF. Alors ? ”

Alors la plus-value alimente la trésorerie des plus grands promoteurs et leur cohorte d'intermédiaires.

Les années flambe du roi de La Défense, Christian Pellerin

Mis en selle par Raymond Barre, sous la protection de Charles Pasqua, un jeune diplômé de l'Essec, Christian Pellerin est au centre de plusieurs scandales qui émaillent les décennies 80 et 90. Premier épisode : l'affaire de la tour British Petroleum (BP).

Elle est rachetée en 1988 pour 531 millions de francs, Pellerin a versé 12 millions de commission en marge de l'opération. En 1990, la justice enquête et découvre que la commission a terminé dans la poche d'un des responsables de l'appel d'offres lancé par BP, mais aussi dans celles d'un agent d'assurances d'Axa (qui se suicide la veille de son audition par les enquêteurs, en mars 1990) et d'un brigadier-chef de la préfecture de police de Paris, impliqué dans l'affaire (qui, lui aussi, se suicide avec son arme de service, en décembre 1990). L'affaire n'ira pas plus loin.

Le Parti républicain bénéficiaire des commissions ?

Deux ans plus tard, le juge Renaud van Ruymbeke s'intéresse aux conditions dans lesquelles le Parti républicain (PR) a acheté son siège rue de Constantine à Paris, grâce à un prêt à 3% de 12,5 millions de francs (1,9 million d'euros) accordé par la Sari, l'entreprise de Pellerin.

Le parti de François Léotard prend quelques libertés avec les remboursements du prêt. En 1993, il cumule 7,5 millions de francs de retard sur les échéances prévues. Ces facilités ont-elles donné lieu à des contreparties ? L'enquête n'est pas terminée. Christian Pellerin a été mis en examen pour “ abus de biens sociaux ” le 12 juin 2008. Ruiné par la crise immobilière, le promoteur s'était remis en selle au début des années 2000.

L'affaire des 45 000 mètres carrés fantômes

En 2004, deux fonds de pension allemands déposent plainte à Nanterre. Ils ont voulu acheter trois tours à la filiale immobilière de Vivendi (ex-compagnie générale des eaux). En faisant mesurer chaque bâtiment, les Allemands constatent des surfaces réelles bien supérieures celle déclarées. Pour les gendarmes de Versailles, il y a 45 000 mètres carrés fantômes, sur lesquels ne seront pas payés de droits.

En guise de défense, Christian Pellerin invoque un argument juridique lié à l'évolution des techniques de construction. Les locaux techniques, auparavant situés dans les sous-sols des tours, sont désormais intégrés à chaque étage, mais on ne peut pas les comptabiliser dans les surfaces à bâtir… Le parquet de Nanterre n'a pas la même appréciation. En mai 2008, il a ouvert une information judiciaire pour “ infraction au Code de l'urbanisme ” et “ faux et usage de faux ”.

Le plan Sarkozy créé 450 000 nouveaux mètres carrés

Juillet 2006 : Nicolas Sarkozy est ministre de l'Intérieur et de l'aménagement du territoire, président du Conseil général des Hauts-de-Seine et… président de l'Epad. Il parvient donc facilement à justifier et autoriser la contruction de 450 000 mètres carrés supplémentaires de bureaux.

Cela représente un chiffre d'affaires de quatre à cinq milliards d'euros et un bénéfice pour l'Epad d'environ un milliard d'euros en droits à construire.

Dans leur magistrale enquête “9-2, le clan du Président” (Fayard, 2008), Hélène Constanty et Pierre-Yves Lautrou estiment que La Défense a rapporté 152 millions d'euros aux collectivités locales en 2006. Une manne répartie comme suit :

  • 40 pour le département
  • 31 pour Puteaux
  • 23 pour Courbevoie
  • 10 pour Nanterre
  • 12 pour la région Ile-de-France.

Dès l'annonce de la possible nomination de Jean Sarkozy à la tête de l'Epad, une poignée de contribuables alto-séquanais (eh, oui ! ) ont lancé une pétition sur le Net appelant le fils du Président à refuser le poste.

Photo : Nicolas et Jean Sarkozy visitant une exposition sur le Grand Paris en juin 2009 (Philippe Wojazer/Reuters).

A lire aussi
9-2, le clan du président - Hélène Constanty et Pierre-Yves Lautrou - Fayard, 2008 - 316 p., 20€.
► Histoire secrète du patronat, le vrai visage du capitalisme français
- Benoit Collombat, David Servenay, Frédéric Charpier, Martine Orange, Erwan Seznec - La Découverte, à paraître le 5 novembre 2009.

Publié dans 92 - Hauts de Seine

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