A Paris, un service bagagerie aide les SDF à oublier leur statut

Publié le par Association Grand Paris

Sa vie tient dans un casier d'un m3, le 3. Un duvet, un sac à dos, des cabas en plastique, quelques livres, un ordinateur portable. Chaque jour, Philippe Dupagne, à la rue depuis plus de dix ans, range son existence dans un petit local de la rue Rambuteau à Paris. Comme une cinquantaine de sans-domicile-fixe (SDF), il fréquente chaque jour la bagagerie gratuite de l'association Mains libres, installée depuis mars 2007 dans le quartier des Halles.

Des années durant, Philippe a trimballé ses bagages. 30 kg sur roulettes, qui l'empêchaient de se rendre à un rendez-vous, d'entrer dans un café ou de fréquenter une bibliothèque ou un musée. "C'était moi et mon petit chien", se rappelle-t-il. La première fois qu'il a pu enfin déposer ses affaires, "c'était comme si on lui avait retiré une ancre". De joie, il a filé à Beaubourg. "Vingt ans que j'y avais plus mis les pieds", raconte ce comédien, intermittent du spectacle et vice-président de l'association.

"Epeda, trois couches"

"Mains libres est né d'un constat", explique Elisabeth Bourguinat, sa présidente. "Les SDF sont encombrés et stigmatisés par leurs bagages." Or, les consignes existantes sont soit payantes, soit inadaptées aux besoins des sans-abri, car trop petites, disponibles pour un temps limité ou ouvertes qu'une à deux fois par semaine.

Avec quelques SDF, des "ADF" (avec-domicile-fixe), bénévoles comme elle, et quelques associations partenaires, elle est à l'origine de cette bagagerie ouverte sept jours sur sept, matin et soir, sans limitation de durée, sur la base d'un fonctionnement participatif des usagers. "Pour bénéficier d'un casier, il faut vivre dans le quartier, avoir un vrai besoin de mobilité et accepter de participer à la gestion quotidienne de l'équipement", explique Mme Bourguinat.

De 7 heures à 9 heures et de 20 heures à 22 heures, trois personnes, SDF ou bénévoles, accueillent les usagers, vont chercher les bagages dans la salle des casiers, offrent des boissons chaudes et une collation, et gèrent la salle informatique mise à la disposition des SDF. "Dans beaucoup d'associations, les sans-abri sont considérés comme des enfants, incapables de se gérer. Notre fonctionnement veut casser cette image", poursuit la présidente. Cette responsabilisation porte ses fruits. Depuis son ouverture, deux personnes seulement ont été exclues pour non-respect du règlement. En revanche, les demandes de casiers restent fortes. "Entre cinq et dix par mois", précise Philippe Dupagne mais, faute de turn-over suffisant, elles sont inscrites sur liste d'attente.

Jean-Philippe, 35 ans, a eu la chance, lui, d'avoir une place il y a deux ans. En échange, il assure la "perm" tous les dimanches soir. Chaque soir, il vient chercher son matelas et ses duvets avant de s'installer sur son carton "Epeda trois couches", plaisante-t-il. Comme beaucoup de ses compagnons, il fréquente rarement les centres d'hébergement sauf par grand froid, et il apprécie alors de pouvoir "voyager léger", sans crainte de se faire voler. Son casier est bien rempli. Dans la journée, il y met toutes ses affaires, sauf son téléphone portable, et ne se sent plus comme un "errant". Plus loin, un attaché-case, un costume soigneusement pendu au bord d'un casier laissent deviner une tranche de vie passée.

Depuis l'ouverture du local, une centaine de personnes a bénéficié de ce service de bagagerie. Près de la moitié d'entre elles a pu avoir accès à des soins ou à leurs droits, retrouver un travail ou un logement. Unique dans son genre, Mains libres devra dans quelques mois trouver un nouveau local. Le bâtiment actuel, prêté gratuitement par la Ville de Paris, doit être démoli en 2010 dans le cadre du projet de rénovation des Halles.
Catherine Rollot LE MONDE 09/11/09

Publié dans Logement - Immobilier

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