Des vieux, des jeunes et des logements par J. Bichot

Publié le par Association Grand Paris

TRIBUNE LIBRE
LES ECHOS [ 28/04/09  ]
Jacques Bichot, économiste, est professeur émérite à l'université Lyon-III

Selon « Insee Première » no 1229 de mars 2009, « la valeur du patrimoine économique national a été multipliée par huit entre 1978 et 2007 : elle a doublé en termes réels, tandis que les prix des actifs ont plus que quadruplé, portés notamment par la vive progression de ceux des biens immobiliers sur les dix dernières années ».

Les logements, et les terrains sur lesquels ils sont ou pourront être bâtis, sont davantage entre les mains des personnes relativement âgées que des plus jeunes. Ainsi, dans l'enquête patrimoine 2003-2004, l'Insee relève-t-elle les taux suivants de détention de la résidence principale, selon l'âge de la « personne de référence » du ménage :

- 13,7 % si elle a moins de 30 ans ;

- 46,1 % si elle a entre 30 et 39 ans ;

- 60,9 % si elle a entre 40 et 49 ans ;

- 67,5 % si elle a entre 50 et 59 ans ;

- 69,5 % si elle a entre 60 à 69 ans ;

- 61,4 % si elle a 70 ans ou plus.


Cela signifie que les achats nets de terrains bâtis ou à bâtir (directs, ou par promoteur interposé dans le cas des appartements) ont lieu surtout entre 30 et 50 ans. Qui sont les vendeurs nets, bénéficiaires de l'envolée des prix ? Des ménages qui en possèdent, le cas échéant à la suite d'un héritage (l'âge moyen de l'héritage s'est élevé en même temps que l'âge moyen des décès), et trouvent qu'ils peuvent s'en défaire en tout ou en partie, c'est-à-dire surtout des personnes à la retraite ou qui en sont proches.

Or le prix du terrain bâti ou à bâtir a explosé. L'indice des prix des « terrains sous-jacents » - ceux qui supportent une habitation ou sont achetés dans ce but - a été multiplié par vingt entre 1978 et 2007, indique l'Insee, tandis que le multiplicateur est de quatre pour l'ensemble du patrimoine. En 2007 les terrains sous-jacents représentaient 35 % du patrimoine des ménages, contre 27 % pour les logements stricto sensu.

Cela implique un transfert considérable des jeunes ménages vers les plus âgés, et particulièrement vers les retraités. Les jeunes qui rentrent sur le marché du travail ont aujourd'hui la perspective de céder à ces derniers une forte proportion de la richesse qu'ils vont créer par leur travail : en cotisant aux caisses de retraite par répartition et à l'assurance-maladie (financée à 90 % par les actifs, celle-ci affecte plus de 40 % de ses dépenses aux retraités) ; sous forme de loyers ; en effectuant des achats (éventuellement implicites) de terrain bâti ou à bâtir ; et en versant des intérêts sur leurs gigantesques emprunts immobiliers (partie de ces intérêts que les banques reversent aux titulaires de placements financiers).

Pour les jeunes ménages, dont beaucoup, on en conviendra, n'entrent pas dans la vie professionnelle avec une extrême facilité, la situation est devenue intenable. Dans « Les Echos » du 5 novembre 2008, Jacques Friggit estime que l'achat de la résidence principale en est arrivé à absorber en moyenne cinq années de revenus du couple, contre trois en l'an 2000. Certes, la baisse des prix immobiliers qui est en cours améliorera la situation, mais sera-t-elle suffisante en ce qui concerne les terrains si l'on ne remédie pas à certaines causes de leur cherté ?

La France a une densité de population deux à trois fois inférieure à celle de nombre d'autres pays européens : Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Royaume-Uni, etc. Pourquoi alors des prix si élevés pour le terrain bâti ou à bâtir ? L'insuffisance de l'offre tient à des facteurs autres que la rareté physique du terrain. Il serait fort utile de déterminer lesquels (plans d'occupation des sols ? politique des transports ? etc.) ainsi que leur importance respective, et d'étudier quels moyens permettraient de modifier la situation. Ne pas le faire reviendrait à se résigner à ce que notre pays soit le lieu d'une exploitation abusive des actifs par les inactifs.

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