Les révoltés du Luxembourg, par Gérard Courtois

Publié le par Association Grand Paris

CHRONIQUE I LE MONDE 03/11/09

Il en est du Sénat comme de la Grande Pyramide. Quiconque s'avise d'en bousculer les rites et les mystères s'expose à de cruelles déconvenues. Le général de Gaulle en fit l'expérience, il y a quarante ans. Les princes qui nous gouvernent aujourd'hui - le pluriel est-il de mise ? - ont peut-être commis une erreur d'appréciation similaire en engageant la réforme des collectivités locales d'une manière si baroque qu'elle ne hérisse plus seulement les caciques de gauche, majoritaires dans les régions, les départements et les grandes villes, mais aussi les girondins de droite.

Or un girondin en colère peut faire du dégât ! En prenant la tête d'une fronde contre la réforme de la taxe professionnelle, en annonçant avec vingt-trois autres sénateurs UMP, dans Le Journal du dimanche, qu'il ne voterait pas cette réforme en l'état, ce qui revient à menacer de bloquer l'adoption du budget, Jean-Pierre Raffarin le démontre.

On ne lui fera pas l'affront de penser qu'il réglerait là quelques comptes, notamment son échec dans la course à la présidence du Sénat il y a un an, faute de soutien de l'Elysée. Non, avec l'autorité de qui a fait inscrire dans la Constitution, en 2003, que la France est une République "décentralisée", le sénateur de la Vienne et les révoltés du Palais du Luxembourg disent tout bonnement ce que beaucoup pensent tout bas : la réforme des collectivités territoriales est engagée en dépit du bon sens.

Sans mésestimer la complexité d'un chantier qui bouscule frontières, pouvoirs, prés carrés et roitelets, le gouvernement avait pourtant de bonnes cartes en main : un constat largement partagé qu'il était temps de réorganiser la "France d'en bas" et un rapport Balladur qui dessinait de solides bases de compromis. Mais il s'est engagé dans une double manoeuvre qui menace de tout faire capoter. En imposant à la hussarde, dès le budget 2010, la réforme de la taxe professionnelle - même si cet impôt est justement décrié -, il a clairement indiqué aux élus locaux qu'il entend faire table rase de leur autonomie financière, donc de la décentralisation. En profitant du rapprochement prévu entre régions et départements et de la création des conseillers territoriaux communs à ces deux collectivités, pour faire voter, avant la fin de l'année, un nouveau mode de scrutin à un seul tour, il a indiqué à la gauche que tous les moyens seraient bons pour lui rogner les ailes.

Enfin, en reportant à plus tard la réflexion sur la répartition des compétences des uns et des autres - qui devrait être le socle de l'ensemble -, il a signifié à tout le monde qu'il se soucie comme d'une guigne du fond de la réforme et de sa cohérence. Celle-ci n'apparaît plus guère que comme le prétexte à un médiocre hold-up fiscal et à une choquante opération de rapine électorale. Singulier manque de hauteur de vue pour qui prétend inventer la France du XXIe siècle.

 


Courriel : courtois@lemonde.fr.
Gérard Courtois
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