Huchon: "Qu'il daigne me recevoir!"

Publié le par Grand Paris

PRESSE

Le Journal du Dimanche 15/11/08

Propos recueillis par Bertrand GRECO


Huit mois après son entrée au gouvernement, Christian Blanc (NC) est enfin sorti du bois. Chargé de construire le Grand Paris cher au président Nicolas Sarkozy, le secrétaire d'Etat vient de lancer son projet d'aménagement du Plateau de Saclay -à cheval sur l'Essonne et les Yvelines. Un projet que Jean-Paul Huchon n'apprécie pas. Le président d'Ile-de-France le fait savoir.


Christian Blanc dévoile son premier projet. N'est-ce pas une bonne nouvelle?
J'ai découvert sa proposition lors de sa conférence de presse, la semaine dernière! La Région et les collectivités locales, légitimement élues, ont été tenues à l'écart. Pourtant, nous ne l'avons pas attendu pour définir ce site comme stratégique. La Région y a déjà investi 230 millions d'euros depuis cinq ans... et j'attends toujours l'argent de l'Etat. Moi, je ne reste pas enfermé entre les murs de mon ministère à faire des plans sur la comète.

Lors de sa conférence de presse, Christian Blanc vous a interpellé: "J'attends que mon ami Jean-Paul Huchon vienne me dire 'c'est bien ou c'est mal', mais qu'il ne reste pas inerte"...
Alors qu'il daigne me recevoir! Rendez-vous compte que, depuis son arrivée, je n'ai eu aucun rendez-vous. Sur un sujet comme Saclay, censé mobiliser trois milliards ( d'euros, ndlr) et booster la croissance, je n'ai même pas eu droit à cinq minutes de conversation! Je sais bien que je ne suis pas grand-chose, mais quand même... La Région a voté un Schéma directeur (Sdrif) pour les 30 prochaines années. Cela suppose de la cohérence et de la continuité, pour offrir aux opérateurs tranquillité et certitude dans l'avenir. Il y a une différence entre quelqu'un qui prépare un plan avec des allées, des arbres, des habitations, des lieux de travail, etc. Et quelqu'un qui jette des cailloux.

"Nous exigeons une gouvernance à parité"
Il veut fonder un "grand cluster [pôle] d'innovation de rang mondial" à Saclay...
Toute proposition de développement émanant de l'Etat doit être étudiée attentivement et positivement. Mais nous poserons des conditions. D'abord, on veut nous imposer un système de gouvernance très autoritaire, totalement géré par l'Etat. C'est hors de question: les collectivités locales, comme les acteurs économiques et scientifiques, ne se contenteront pas de regarder passer les trains. Nous exigeons une
gouvernance à parité, c'est la moindre des choses. D'autant qu'on nous demandera évidemment de mettre la main au porte-monnaie. Les solutions de financement évoquées paraissent extrêmement floues, pour ne pas dire fantaisistes. Il dit: "On fera appel aux entreprises", sans préciser lesquelles, avec quelles contreparties, selon quelles modalités... Il ne s'agit pas de trouver trois francs six sous, mais trois milliards d'euros! Avant de solliciter des contributions financières de la Région ou des départements, il va quand même falloir se résoudre à nous consulter sur la nature du projet.

Un établissement public de Saclay doit être créé. N'y voyez-vous pas un gage d'efficacité?
Il faudra montrer l'intérêt d'un établissement public, présidé par un haut fonctionnaire, où seront évoqués de magnifiques projets qui ne se réaliseront pas puisque personne ne les financera. Ma conception de l'action publique n'est pas napoléonienne: je passe et j'écrase tout sur mon passage. Quand j'entends dire dans certaines déclarations: "Si la région n'est pas d'accord, on passera en force", ce n'est quand même pas très malin. D'ailleurs, je voudrais rappeler cette phrase savoureuse de M. Blanc lui-même dans son rapport à Jean-Pierre Raffarin sur les clusters en 2004*: "Le plateau de Saclay fournit le meilleur exemple du handicap que représente pour le développement économique l'absence d'un acteur territorial fort et incontesté. Dans un contexte comme celui-ci, seul le conseil régional apparaît à même de catalyser les dynamiques et aligner les efforts dispersés. Doté des compétences suggérées par le présent rapport, il [...] pourrait prendre en main ce chantier essentiel." No comment.

L'idée de faire la "Silicon Valley" de l'Ile-de-France vous séduit-elle?
Oui, mais à l'échelle de la métropole toute entière comme le montre l'exemple des pôles de compétitivité. D'où notre proposition d'une vallée de la science. Il serait dangereux de faire de Saclay une concentration unique de toute l'intelligence francilienne, voire française. On ne peut pas déshabiller totalement l'existant. Quid des clusters parisiens ou de la vallée scientifique de la Bièvre? De plus, ce que propose M. Blanc est à peu près aussi complexe que de créer une ville nouvelle. Or, cela suppose de sauvegarder suffisamment d'espaces ruraux et agricoles. Sur cette question, tous les élus, tous les acteurs, agriculteurs, industriels, universitaires et chercheurs... s'étaient mis d'accord pour préserver 2300 hectares. Je ne sais pas pourquoi on parle maintenant de 1800 hectares. D'où la contestation locale des associations agricoles et environnementales. Quant au problème du transport, il est absurde d'imaginer un métro lourd, fait pour transporter entre 300.000 et 500.000 personnes au minimum.

"M. Balladur est quelqu'un de raisonnable"

Christian Blanc était pourtant l'un de vos amis. La hache de guerre est déterrée?
Je l'ai bien connu dans le passé. Il a été un collaborateur de Michel Rocard avant moi. Quand il est arrivé au gouvernement, j'étais contre la nomination d'un secrétaire d'Etat à l'aménagement du territoire parce que je suis décentralisateur et régionaliste, mais je me suis réjoui que ce soit lui. Je le connaissais. Au moins, on ne me mettait pas une espèce de proconsul RPR. Depuis, j'avoue que je ne comprends pas ce qu'il fait. Et je ne suis pas le seul... J'ai l'impression qu'au gouvernement tout le monde n'approuve pas, à tout le moins, ses méthodes incompréhensibles et souvent brutales. François Fillon ou Jean-Louis Borloo, eux, sont plus respectueux vis-à-vis de la Région. Quant à la ministre des universités et de la recherche [Valérie Pécresse], elle a manifesté des réserves sur l'opération Saclay, qu'elle connaît bien. Elle vient de lancer le plan campus et on lui en impose un autre, contradictoire.

Vous en voulez à Christian Blanc de bloquer le Schéma directeur voté par le conseil régional?
Il n'a pas ce pouvoir. Il n'est pas Premier ministre à ce que je sache. Quand j'ai rencontré François Fillon la semaine dernière, il m'a dit: "J'ai l'impression que beaucoup d'obstacles à l'approbation ont été levés". Je suis serein et je veux croire que, dans quelques mois, le gouvernement validera le Sdrif.

Que pensez-vous de la cacophonie ambiante autour de l'Ile-de-France, avec le Grand Paris, Paris Métropole, la volonté de simplifier les strates administratives?

Ce n'est pas de mon fait. Moi, je sais parfaitement où je vais, comme l'ensemble des participants à Paris Métropole. Pour le reste, c'est sans doute de l'agitation strictement politicienne. Le Grand Paris, tout le monde en parle, mais personne ne sait ce que c'est. C'est un Ovni politique. Je crains qu'il ne s'agisse que d'un rideau de fumée pour préparer les élections régionales.

Redoutez-vous la commission Balladur?
M. Balladur est quelqu'un de raisonnable. Malheureusement, les régions n'ont pas été invitées à siéger à cette commission. Ma position est simple: je pense que la région est l'échelon pertinent de l'aménagement du territoire. Tout ce qui conduirait à revenir à un système cantonnier, avec des élus qui ne seraient représentatifs que d'intérêts extrêmement locaux, ne serait pas une bonne chose. Les 27 pays européens ont tous développé des systèmes décentralisés dans lesquels la région est la clé de voûte. La régionalisation avance même dans tous les pays du monde. Je ne crois pas du tout à cette histoire à la mode des échelons administratifs qui ne fonctionneraient pas bien. La semaine dernière, j'étais à Montrouge où on a prolongé la ligne 4 du métro: tout le monde a payé, la région (70%), mais aussi le département des Hauts-de-Seine, la ville, l'Etat... Vous voyez bien que ça marche.

Qu'attendez-vous des 10 équipes d'architectes qui travaillent sur le Grand Paris sous la houlette du ministère de la Culture?
C'est très enthousiasmant. Il y aura certainement des idées à tirer de ce bouillonnement. Je vais vous dire: sur de tels sujets, tout vaut mieux que la réflexion en chambre d'une personne solitaire. Il faut ouvrir les fenêtres, donner un peu d'air, et éviter les visions autoritaires.

*Pour un écosystème de la croissance, rapport au Premier
ministre. 2e partie, page 75.

Publié dans Région Ile de France

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